voilà son sujet
« ... chaque degré
de bonne fortune qui nous élève dans le monde nous éloigne davantage
de la vérité, parce qu'on appréhende plus de blesser ceux dont
l'affection est plus utile et l'aversion plus dangereuse. Un prince
sera la fable de toute l'Europe, et lui seul n'en saura rien. Je ne
m'en étonne pas : dire la vérité est utile à celui à qui on la dit,
mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu'ils se font haïr. Or
ceux qui vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts que celui
du prince qu'ils servent ; et ainsi, ils n'ont garde de lui
procureravantage en se nuisant à eux-mêmes.
Ce malheur est sans
doute plus grand et plus ordinaire dans les plus grandes fortunes ;
mais les moindres n'en sont pas exemptes, parce qu'il y a toujours
quelque intérêt à se faire aimer des hommes. Ainsi, la vie humaine
n'est qu'une illusion perpétuelle ; on ne fait que s'entre-tromper et
s'entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il
en parle en notre absence. L'union qui est entre les hommes n'est
fondée que sur cette mutuelle tromperie ; et peu d'amitiés
subsisteraient, si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu'il n'y
est pas, quoiqu'il en parle alors sincèrement et sans passion.
L'homme n'est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en
soi-même et à l'égard des autres. Il ne veut pas qu'on lui dise la
vérité, il évite de la dire aux autres ; et toutes ces dispositions, si
éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans
son coeur. »
Pascal.